Back to Recordings Reviews Le Monde de la Musique, Télérama KAIKHOSRU SHAPURJI SORABJI By Jacques-Emmanuel Fousnaquer En octobre dernier, une quinzaine de personnes (dont trois journalistes) (1) ont suivi, fascinés et fourbus, les pérégrinations de Geoffrey Douglas Madge dans l'Opus clavicembalisticum. Musique pour cercle restreint, mais pour auditeurs fervents, l'oeuvre pour piano de Kaikhosru Shapurji Sorabji est un de ces chocs dont on ne se remet pas facilement. Plus encore que dans ledit Opus clavicembalisticum, d'une prodigalité d'écriture peu commune mais d'une longueur décourageante, c'est dans ces cinq pièces aux dimensions raisonnables qu'on pourra en faire l'expérience. Elles ont été composées dans les années 1920 à 1928, alors que le compositeur parsi-britannique était encore un personnage relativement public, pianiste et critique. On touche là des sommets de raffinement, de poésie et de maniérisme rarement atteints par un compositeur-pianiste, sommets où l'on peut surprendre les ombres de Scriabine, Debussy, Alkan ou Liszt, immatériellement encordées, tenant une étrange conférence. Ce qui rend la musique de Sorabji si personnelle, c'est en bonne partie l'espèce de folie improvisatrice dont elle témoigne. Les structures y sont invisibles, travesties derrière un flux torrentiel de notes, guirlandes, trilles, subtilités harmoniques, circonvolutions diverses. Une pièce comme Le Jardin parfumé est une immense floraison aux contours indiscernables, hyperdécorative, pour laquelle la métaphore végétale ou aquatique semble plus appropriée que toute analyse (comme chez un Szymanowski). Toute aussi frappante est l'impression que cette musique n'exprime rien, au sens purement sentimental du moins. Ni joie, ni tristesse. Mais une sorte d'abandon permanent, un bien-être embué, sensuel. Voilà qui fait du clavier de Sorabji un espace d'utopie et de plénitude, chargé d'un intense magnétisme. Seul le Prélude, interlude, et fugue relève ici du style ostensiblement contrapuntique de l'Opus clavicembalislicum, les deux Pastiches apportant quant à eux une touche d'humour. Michael Habermann est sans doute le dernier pianiste que Sorabji aura autorisé à jouer ses oeuvre avant de disparaître. Il honore cette confiance avec un talent stupéfiant, montrant que la musique de Sorabji n'est pas seulement une musique de l'esprit ou de la mécanique, comme on pouvait le croire. 1 Compact disc ASV AMM 159 - Texte de présentation en anglais, bien développé - Technique: 4,5/5 (3,5/5, pour le Nocturne, enregistré "live") -- Enregistré en 1982 et 1984 - ADD/DDD - Minutage: 64'55. 1) et un pianiste, Cyril Huvé - voir Le Monde de la Musique no. 119. Copyright ©1989 by Jacques-Emmanuel Fousnaquer, all rights reserved. Reprinted by permission |